Alors que le bicentenaire de la mort de Napoléon 1er a fait l’objet, en 2021, de nombreuses expositions et manifestations organisées partout en France et en Europe, il semble intéressant de rappeler qu’à l’échelle britulienne, l’attachement à l’Empire et à la personne de l’empereur a suscité, de son vivant même, en 1815 et 1816, plusieurs mouvements et interventions dans l’espace public, durement réprimées par le Gouvernement de Louis XVIII.
Dès le 2 août 1815 (un mois et demi à peine après l’abdication de Napoléon), un arrêté préfectoral, signé par le préfet de l’Oise, le comte Hervé Clérel de Tocqueville (1772-1856) [1] , prononce la fermeture administrative, pour 8 jours, du « caffé public » tenu à Breteuil par le sieur Eustache Batonnier. La raison invoquée en est la suivante : le café en question, situé sur la place du Marché-au-Blé, « sert de lieu de réunion à beaucoup de malveillans qui par les nouvelles les plus fausses comme les plus absurdes, cherchent à inquiéter et à agiter les esprits…dernièrement encor, on a lu et publié dans ce caffé une prétendue déclaration ou proclamation de Sa Majesté impériale l’empereur de toutes les Russies tendante à calomnier les intentions généreuses de cet auguste allié de notre Roy et de la nation française ; et […] le sieur Bâtonnier souffre chez lui ces rassemblemens séditieux sans en rendre compte à la police[2]… ». Le même arrêté défend à Eustache Batonnier « de recevoir qui que ce soit dans son caffé ou dans d’autres lieux de son habitation pour y prendre caffé, liqueurs ou toute autre boisson, ni lire papiers publics ou toutes autres espèces de nouvelles sous les peines de droit[3]… »
[1] Qui n’est autre que le père du célèbre philosophe et homme politique Alexis de Tocqueville (1805-1859), auteur du célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique.
[2] Archives municipales de Breteuil. On doit rappeler qu’à cette époque, les troupes coalisées victorieuses de Napoléon à Waterloo, parmi lesquelles Russes et Cosaques, mais aussi Autrichiens et Prussiens, occupent le territoire français, et cela pour plusieurs années, et y commettent de multiples exactions.
[3] Archives municipales de Breteuil.
Le sieur Batonnier ne semble pas tenir compte et continue « de réunir chez lui toutes les personnes ennemies du Gouvernement et à faire de son café une espèce de club d’où les bruits calomnieux et les nouvelles allarmantes sortent pour se répandre dans les campagnes[4]… ». Batonnier, qui, aux dires de l’administration préfectorale, a concouru à répandre des bruits accusateurs contre les troupes étrangères occupant alors Breteuil, pouvant de surcroît porter atteinte à la sûreté de l’administration municipale, se voit placer sous la surveillance de la police et son café définitivement « interdit », par arrêté préfectoral du 18 décembre 1815.
[4] Arrêté préfectoral du 18 décembre 1815. Archives municipales de Breteuil.
Eustache Batonnier (1769-1818) était issu d’une très ancienne famille de manouvriers et artisans brituliens et était lui-même le fils d’Eustache Batonnier, manouvrier. De par son établissement d’aubergiste, il avait acquis une certaine assise sociale puisque son café et auberge était implanté sur la principale place de Breteuil. Cette assise sociale sera renforcée – en dépit de ses déboires politiques… - par son fils, Jean-Charles Batonnier (né en 1801) sera lui-même hôtelier et propriétaire à Amiens, place Saint-Denis.
Quelques mois plus tard, une nouvelle manifestation bonapartiste devait susciter, à Breteuil, l’émoi de l’administration préfectorale. Dans la nuit du 21 au 22 mai 1816, des affiches ou placards sont apposés en deux endroits de la ville : le texte de ces affiches proclame clairement son hostilité au régime de la Restauration et son attachement à l’empereur déchu. Pour l’administration préfectorale et le conseil municipal, à majorité ouvertement royaliste, dirigé par son maire, Pierre-Nicolas-Charles de Pétigny (1764-1825), il importe de répliquer à ces « écrits séditieux et allarmans[5] », considérés comme sacrilèges, par une cérémonie officielle de « réparation ». Le dimanche 26 mai 1816, à la demande du préfet, le comte Maxime de Choiseul d’Aillecourt (1781-1854), le conseil municipal, accompagné du curé-doyen de Breteuil, ainsi que des principaux fonctionnaires et magistrats municipaux, se rend depuis « la place de l’Hôtel-de-Ville », avec les principaux officiers de la garde nationale locale, commandée par M. d’Haudicourt de Tartigny, devant les deux maisons où avaient été affichés lesdits placards.
[5] Mémorial administratif du département de l’Oise, n°694, 4 juin 1816.
En leur lieu et place, une proclamation réparatrice est affichée. En voici le texte :
« Profession de foi et des sentimens des habitans de Breteuil
« Vive à jamais la religion de nos pères ;
« Vive à jamais le sceptre antique des Bourbons.
« Vivent, vivent Louis XVIII et les princes de son sang auguste ».
Et le secrétaire général de la préfecture de renchérir, dans un discours enflammé :
« Habitans de Breteuil, des méchans ont cherché à troubler l’ordre dans vos murs…Vous désavouez formellement cette fureur infernale ; elle vous fait horreur…Allons maintenant dans le temple du Seigneur ; prosternons-nous aux pieds des autels ; allons y sceller nos sermens de fidélité à la religion et au Roi[6]… »
[6] Ibidem.
Le cortège se rend ensuite à l’église pour assister au salut du Saint Sacrement, suivi du psaume Exaudiat.
Les auteurs de ces placards en faveur de Napoléon ne furent jamais identifiés et l’on ne sait si le dénommé Eustache Bâtonnier en faisait partie…